Tag Archives: Robert Laffont

Le Français, de Julien Suaudeau

23 Oct

Lu par Bérénice

critique2

moustache humide

Le Français surfe sur la vague du terrorisme mais évite relativement bien les poncifs ; il lui manque toutefois profondeur et recul pour éviter d’être repris sous n’importe quelle bannière.

Il y a fort à parier qu’on ne s’en souviendra pas.

Le Bal des Hommes, de Gonzague Tosseri

3 Oct
Moustaches de poilus

Poilu & Moustachu

Editions Robert Laffont

Lu par Benoit

 

Connaissez-vous le concept des films à Oscar ? Ces films qu’on dirait avoir été spécialement conçus pour rafler des statuettes, mettant tout en œuvre pour que leurs acteurs-stars livrent la prestation la plus poignante ? Hé bien, il est possible qu’une nouvelle espèce, littéraire cette fois, soit en train de voir le jour : les romans à Virilo.

 

CoverEn effet, comment ne pas voir dans Le Bal des Hommes un appel du pied évident à nous autres vils et virils jurés, déjà de par le titre bien sûr, mais aussi avec cette histoire déjantée que l’on nous sert, mettant en scène le moustachu le plus taiseux de la police parisienne face au milieu le plus interlope des hommes aimant les hommes ? La ficelle est presque trop grosse… et inutile pourrait-on dire, puisqu’au final toute cette flatterie ne vaudra pas une bonne bouteille de Dom Perignon 1995. Enfin… Reprenons depuis le début, et passons sans plus tarder cette œuvre au peigne fin.

 

Blèche, un ex-poilu chez les épilés

L’histoire débute en 1934, lorsque deux fauves du zoo de Vincennes sont découverts morts au petit matin, leurs sexes mystérieusement tranchés et subtilisés. Pour les grands pontes de la police cela ne fait aucun doute : ce vol de chibres pue le trafic d’aphrodisiaques pour homosexuels. Et c’est donc tout naturellement qu’ils mettent l’agent Blèche, dit la Carpe, sur l’affaire.

 

Solitaire et ténébreux, Blèche a la torgnole facile et la mémoire prodigieuse. Il est surtout le meilleur connaisseur du milieu inverti de la capitale, informé aussi bien par ses mondains les plus fortunés que par ses junkies plus minables. C’est donc avec lui – et quel meilleur guide ! – que nous plongeons dans le Paris gay et camé des années 30, cabossé et poisseux, où chacun trouve ses propres solutions aux brûlures de la vie…

 

Gendarme

Moustache partout, justice nulle part

Le plaisir d’écrire

Autant le dire d’emblée, ce roman écrit à quatre mains est une réussite : l’univers est original, le ton déluré, l’époque très bien retranscrite. Les personnages sont merveilleusement bien campés, avec un sens aigu du détail, depuis le héros Blèche jusqu’aux personnages les plus secondaires. Quant à l’écriture, elle fait preuve d’une maîtrise enthousiasmante : travaillée sans gêner la fluidité de l’histoire, employant un vocabulaire riche et précis, cherchant régulièrement une tournure originale et intéressante pour dire les choses. Les auteurs s’amusent d’ailleurs à exhumer des mots méconnus de la langue française, comme chattemite, boucanage, julots, bistre, margrave, chitineux, boyautant, on en passe et des meilleurs, ce qui se révèle assez sympathique.

 

Toutes les bonnes choses ont une fin, sauf la moustache

Le seul bémol que nous formulons concerne l’intrigue : les auteurs prennent un plaisir évident à raconter leur histoire, mais ils lui imposent parfois des virages tellement brutaux qu’on en vient à perdre de vue ce qui est censé nous tenir en haleine. Gonzague & Tosseri nous donnent plusieurs fois l’impression de se désintéresser eux-mêmes des intrigues qu’ils viennent de mettre en place, abandonnant un récit pour un nouveau, si bien que l’enjeu global de l’histoire n’est pas toujours clair. Le dernier acte fournit certes une réponse globale, faisant fusionner les différentes intrigues, mais le liant arrive peut-être un peu tard.

 

Enfin, ce défaut enlève peu à l’attrait du livre. « L’intelligence constitue un bon bouclier contre les coups durs de la vie » nous disent les auteurs. Nous répondrons que Gonzague & Tosseri sont de bons coups littéraires, dont nous suivrons avec intérêt les prochaines parutions. Bravo !

Les eaux amères, d’Armel Job

20 Oct

Editions Robert Laffont

Lu par François H-L…

Moustache fournie

Moustache amère

Que d’amertume à avaler cette année, et il y a à boire et à manger en plus ! Après l’excellent Pain Amer de Marie-Odile Ascher, et avant Les amandes amères de Laurence Cossé, voici Les eaux amères du Belge Armel Job qui nous emmène dans la Belgique francophone de la fin des années soixante (ce qui est en soi assez dépaysant) chez Abraham Steinberg, un quincailler rescapé dela Shoah qui une fois l’an, le quatre août pour être précis, est submergé par le souvenir de la journée maudite où sa famille a été déportée.

Une sorte de tonic sans bulle

L’homme a pourtant tout pour être heureux, une affaire florissante, deux grandes filles aimantes et équilibrées, et puis il y a Esther, l’épouse ravissante et attentionnée… Pourtant chaque année c’est la même chose, c’est trop dur. Cette année 1968 plus que les autres sans doute… Sans doute à cause de ce soupçon insupportable : et si Esther le trompait ? Pour le savoir, Abraham ira voir un rabbin, lui qui ne croit plus en Dieu, qui lui conseillera de faire boire à sa femme ces eaux amères, sorte de révélateur de la trahison.

Eau à moustache

N’en racontons pas plus sur ce roman qui se lit avec beaucoup de bonheur. L’ouvrage est délicat, attachant et particulièrement réussi tant pour sa construction que pour son propos, on est en particulier épaté par la manière dont l’auteur arrive à décrire l’atmosphère d’une petite ville belge des années soixante. Les sentiments qu’éprouvent Abraham sont par ailleurs décrit avec beaucoup de pertinence : la colère, la passion, le désespoir d’Abraham, nous les vivons avec lui. Tout est incroyablement juste dans ce roman alors buvez-les sans hésiter, ces eaux amères.

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… mais aussi lu par Paul

Amère glabréité

Comme Esther Steinberg, j’ai pour ma part eu bien de la peine à boire ces Eaux amères.

Armel Job nous fournit tous les détails d’une vie bien rangée dans un village belge des années soixante, qui soudain se dérègle. Mais à l’image du bonheur matrimonial dont il trace les limites, le rythme de ce récit est peut-être trop bien réglé.

Une comparaison délicate et engageante

Certains passages – malheureusement trop fréquents – m’ont donné l’impression de digérer une plâtrée de chicons au gratin : une lutte intestine entre l’amertume de l’endive et la lourdeur de la béchamel.

« Elle avait l’habitude, étendue, de ramener le talon de la jambe gauche à la hauteur du genou droit ou inversement. Cette position faisait saillir à la naissance de sa cuisse un tendon tiré comme la corde d’un arc. Et cette corde était bien capable de lancer des traits cruels dans le cœur des galopins de mon âge qui passaient devant la haie de charmes et ne pouvaient s’empêcher de glisser une œillade par la claire-voie à l’extrémité du jardin » (page 22).

Contrairement à François, j’ai donc eu du mal à me passionner pour ce récit qui s’empêtre dans les détails matériels (dont l’interminable description de l’organisation d’un comité de quartier dans lequel siège le héros) et se détourne de la complexité de ses propres personnages. C’est dommage, car la pondération inverse aurait donné un résultat très plaisant.

 Selon la tradition en vigueur au Virilo, les jurés devront désormais choisir leur camp pour cet ouvrage et s’affronter à grands coups d’intentionnalité littéraire dans la gueule.

Jurés discutant des "Eaux amères" devant la Closerie des Lilas (octobre 2011)

Le Congrès, de Jean-Guy Soumy

21 Feb

Robert Laffont

Lu par… François S.

Dame Justice aime à fouiner dans les vies des citoyens qu’elle est censée protéger. Dans le passé, dans les intimités, dans les chambres à coucher… Durant le siècle de Louis XIV, époque à laquelle Eglise et pouvoir se donnaient la main (certainement pour s’encourager mutuellement…), un délit était particulièrement mal vu par l’institution ecclésiastique : se marier lorsque l’on se sait impuissant. L’argument va servir de base au roman de Jean-Guy Soumy. « Un congrès » va se dérouler sous nos yeux. L’Etat et l’Eglise veulent juger de visu la capacité d’un époux à honorer sa femme. Une seule injonction : « Dresser, pénétrer, mouiller ». On ne saurait être plus claire.

« Le Congrès » plante le décor d’un siècle impitoyable, où les réputations se font et se défont en quelques instants. Si quelques lourdeurs et incongruités sont à déplorer, l’auteur manie avec aisance une intrigue intéressante et historiquement juste.

Lu par… Xavier P.

Mon collègue à moustache a tout résumé. Je précise qu’un écrivain qui s’appelle Soumy aurait pu se voir refuser de fait toute lecture Virilo. Il a contourné, et comment, la sémantique nominale, par une quatrième de couverture alléchante. Trop peut-être : cette cérémonie du Congrès, dégradante, arrive tard dans le roman, et la belle écriture qui nous y mène ne parvient plus, après 150 pages, à maintenir la perversion voyeuriste promise par les quelques lignes de cette page 270. L’historicité du roman (enrichie par une finesse de vocabulaire très enrichissante) apporte cependant un double intérêt : une piqûre de rappel sur la révocation de l’Edit de Nantes et l’oppression envers les protestants, et la découverte d’une Eglise, qu’on savait à l’époque toute puissante certes, mais pas jusque dans le lit conjugal à condamner l’impuissance justement.

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